numérique: les énormes disparités entre les villes et les campagnes | Acacile

numérique: les énormes disparités entre les villes et les campagnes

Revenir en campagne pour les besoins de la Tabaski m’a permis de renouer avec la réalité sur l’existence de deux Sénégal. Si dans l’un, les hommes vivent dans l’ère du numérique et ont droit à de bellissimes infrastructures, dans l’autre, l’entrée dans la modernité n’est pas totalement effective. Les disparités sont tellement grandes qu’on en arrive à se demander si les nombreuses politiques publiques prennent réellement en charge le pays dans son entièreté. L’arrondissement de Keur Momar Sarr, dans la région de Louga, en est une parfaite illustration.

Il arrive rarement qu’ils manifestent pour se faire entendre mais les villageois ont plus que tous des raisons solides pour crier leur amertume. Des laissés-pour-compte, ils ne doivent leur peu de confort qu’à eux-mêmes. L’Etat, même à travers ses collectivités territoriales, y est complétement absent ne s’engageant que pour lui-même. Autrement dit, les différents investissements que l’Etat central pourrait y faire visent moins à alléger le quotidien de ces villageois pour la plupart des paysans qu’à remplir les caisses du Trésor. C’est ainsi qu’il faut comprendre les usines d’eau implantées à Keur Momar Sarr, le projet de Biosoy dans la commune de Syer et même l’implantation sur des centaines d’hectares de la société SENEGINDIA dans la commune de Mbane. Dans le monde rural, tout relève naturellement du luxe, des infrastructures aux NTIC en passant par les plus élémentaires des besoins de base.

De vieux tronçons non bitumés au lieu de vraies routes

Pendant que l’autoroute est en vogue dans la capitale et relie parfois Dakar et des grandes villes comme Thiès, Touba, Tivaoune, les villageois rêvent rarement de voir un jour leurs pistes bitumés. Ils n’en entendent parler qu’en temps de campagne électorale où les promesses, dit-on, n’engagent que ceux qui y croient. Rien dans les faits et gestes des élus ne présage une amélioration dans la mobilité des personnes et des biens. Conscient de la difficile voie qu’il avait empruntée lors du lancement du projet Biosoy dans la commune de Syer en 2017, le premier ministre avait pris le ferme engagement d’ «envoyer une équipe pour l’étude de faisabilité pour la piste » qui est restée dans le même piteux état. Au lieu d’une route qui est un luxe, ils ont plutôt droit à un chemin caillouteux qui donne du fil à retordre aux chauffeurs et autres usagers.

Sur le plan économique, la faisabilité et la rentabilité du bitumage de cette route vieille de plus de 20 ans ne sont plus à démontrer. Techniquement, pour un Etat qui se paie un Train Express Régional, bitumer un tronçon de moins de 100 kilomètres ne doit être qu’un jeu d’enfant. Surtout quand cet Etat se targue d’avoir réalisé, entre 2012 et 2016, 1295 km de routes et 36 km d’autoroutes et compte même atteindre les 217 km d’autoroutes avant 2019.  S’agissant de la rentabilité du tronçon Keur Momar Sarr-Richard Toll, les grands projets qui s’installent dans cette contrée sont une motivation suffisamment forte pour exiger des efforts sur le plan infrastructurel pour desservir cette localité et faciliter l’écoulement des produits agricoles.

Bitumer ce tronçon aurait évité le calvaire des chauffeurs de la société SENEGINDIA qui ont eu d’énormes difficultés à sortir leurs pommes de terre qui finissaient par pourrir lors de la fête de Tabaski. Il leur arrive souvent de déverser des charges de sable et de béton sur la route, la colmater, pour éviter de s’enfoncer dans les trous qui ornent ledit tronçon. En plus de cela, une fois cette route bitumée, la Compagnie Sucrière Sénégalaise peut également l’emprunter au lieu de passer par Saint-Louis. Ainsi démontrée, la rentabilité d’une telle route ne peut point se poser. Il appartient à l’Etat d’en faire un sérieux projet et de développer cette partie du pays en passant par une politique agricole et infrastructurel adéquate comme inclue dans le PUDC s’il tient réellement à réduire la fracture sociale entre la capitale et la campagne.

L’impact du programme d’urgence de développement communautaire

La fracture sociale est exactement ce que le Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC) tient à combattre. Dans son objectif global, le document indique vouloir « transformer les conditions de vie des populations et lutter contre les inégalités sociales ». Il s’agira en d’autres termes d’ « améliorer l’accès aux infrastructures et équipements socio-économiques de base, renforcer la productivité des populations et valoriser la production agricole, renforcer les capacités des groupements professionnels et acteurs locaux en entreprenariat rural » entre autres. Mais l’implantation de ce programme, très ambitieux, n’est pas effective dans toutes les zones rurales. Le seul bémol est que, très souvent, ce programme d’urgence donne l’air d’obéir à des exigences partisanes ou politiciennes.  Parce que tout simplement, les communes rurales qui en bénéficient son soit celles de grande envergure ou bien celles qui comptent en leur sein des hommes politiques de renom très influents. Les zones les plus reculées et les moins peuplées sont souvent exclues d’une telle politique parce que l’Etat n’attend pas que de retombées économiques de ses investissements puisqu’ils cachent souvent des calculs électoralistes.

Quoique majestueux dans sa conception donc, le PUDC ne pourra pas de sitôt réussir à réduire les inégalités, promouvoir l’économie rurale, atteindre la sécurité alimentaire, réduire l’exode rural et offrir des services de qualité aux sénégalais de l’intérieur. Sur beaucoup d’aspects du programme, il y a loin de la coupe aux lèvres puisque le sentier à parcourir reste entier. L’effectivité du programme dans certaines contrées et son absence dans d’autres ne feront qu’approfondir les inégalités déjà existantes. La preuve par neuf est que la capitale continue d’être le centre d’attraction, l’exode rural continue d’exister, et l’insécurité alimentaire ne cesse de menacer la vie des paysans. L’accès même à de l’eau potable est paradoxalement un luxe pour ces villages qui longent le lac de guiers.

Une connectivité et une électrification très peu efficaces

Dans la plupart des villages, l’électrification est effective grâce à la coopération entre le Maroc et le Sénégal. Beaucoup de contrées très reculées, dans les régions de Louga, Saint-Louis, Matam entre autres sont alimentés à travers ce programme et même s’ils s’en félicitent, il n’en demeure pas moins que les usagers sortent souvent de leurs gonds face à la cupidité de la COMASEL (Compagnie Maroco-Sénégalaise pour l’Electricité). En effet, selon les termes du contrat qui devait durer deux ans (contrat qu’ils n’ont jamais vu), chaque usager devrait payer au minimum 10 000 francs CFA par mois compte non tenu de sa consommation. Après cette période, la facture devrait se faire conformément à l’utilisation de l’électricité par les ménages mais malheureusement, la surfacturation continue de peser sur le quotidien de ces villageois. Ceci est un autre type de fracture sociale auquel l’Etat devrait immédiatement trouver une solution afin de permettre à tous les citoyens d’accéder aux services aux mêmes frais.

Tout comme l’électricité, la connectivité est un vrai luxe dans cette zone du pays. Les opérateurs n’ont pas tous un maillage aussi large qu’efficace qui puisse permettre d’accéder à l’internet sans difficultés. Au moment où dans les grandes villes, les consommateurs se paient le luxe de naviguer avec le 4G, dans le monde rural par contre, ils surfent sur des difficultés pour avoir accès non seulement à une bonne connectivité mais aussi aux NTIC. Le haut débit y est une notion généralement inconnue des usagers de la campagne puisque, à part Orange qui ne parvient pas à garantir un bon réseau pour la connexion, aucun des opérateurs Tigo et Expresso, ne peut fournir une connexion stable. Dans un monde dominé par l’internet, il devient inconcevable que certains compatriotes n’aient pas accès à l’internet, ne serait-ce qu’au 2G. Ceci creuse davantage la disparité qui existe déjà entre les citadins et les campagnards et constitue non seulement une fracture numérique mais aussi un blocage sur le plan socio-éducatif d’un Sénégal qui se veut pour tous. Sans l’accès à l’internet haut débit, qui est maintenant un must, il va de soi que l’apprentissage et la recherche seront toujours aux antipodes de ce qui se passe dans la capitale et les capitales régionales